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Antoine Pellion : ‘La bonne nouvelle, c’est qu’il y a un plan’

PARIS — C’est ce lundi qu’Emmanuel Macron aurait dû présenter son grand projet de planification pour la transition écologique. Enfin, peut-être… ou peut-être pas. Difficile d’en avoir le cœur net, à dire vrai.

Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique (SGPE) depuis un an et coordinateur en chef du chantier, avait lui-même annoncé la date dans une rare intervention médiatique sur France Inter, samedi 8 juillet. Mais l’Elysée affirme depuis qu’elle n’avait jamais été “confirmée.”

Un étrange hiatus. Pellion, jeune homme aussi carré que ses petites lunettes noires sont rondes, et qui court après le temps, aurait donc parlé trop vite.

Rendez-vous à la rentrée

Repoussé une première fois à cause des émeutes, le conseil de planification écologique (CPE) aura finalement lieu “plutôt à la fin de l’été, vu l’actualité”, explique désormais le presque quadra, que nous avons rencontré jeudi dernier, dans son deuxième bureau, situé au 58 rue de Varenne, juste en face de Matignon.

Cela n’a pas empêché Elisabeth Borne et Bruno Le Maire de lever le voile sur certaines grandes lignes du plan. 

La Première ministre a lâché un premier chiffre dans la presse début juillet : l’Etat va rajouter 7 milliards d’euros dans la balance en 2024. Mercredi dernier, à l’occasion d’un conseil national de la transition écologique (CNTE), elle a précisé que 1,6 milliard serait consacré à la rénovation énergétique des bâtiments, et un milliard aux transports. 

Après un comité de financement de la transition écologique (CFTE), Le Maire a exposé le même jour plusieurs pistes pour rendre les financements disponibles : mobilisation de l’épargne, garanties financières apportées par l’Etat ou mise en œuvre de prêts à taux zéro.

Une “première hausse assez considérable des moyens, dans une ambiance qui est celle du désendettement,” se félicite Antoine Pellion.

Assumer la complexité

Ces premières annonces, faites dans un contexte d’incertitude politique, auront-elles “passé le mur du son,” comme disent les communicants? 

Rien n’est moins sûr. CPE, CNTE, CFTE… la communication du gouvernement est si difficile à suivre que l’ingénieur des Mines s’y tromperait presque lui-même. Ainsi nous affirme-t-il au cours de notre entretien que le montant des “autorisations d’engagement” (c’est-à-dire l’argent débloqué pour plusieurs années pour financer les différentes mesures) ne sera connu qu’à la rentrée. Oups, deux ministres, Agnès Pannier-Runacher et Christophe Béchu, ont pourtant avancé mercredi une somme: 10 milliards d’euros.

Mais n’allez pas vous plaindre devant lui de la complexité de la com’ gouvernementale sur ses sujets. “Il faut l’assumer,” explique-t-il, soulignant le caractère “systémique” et “multifacettes” de la cause. 

Le jeune homme de 39 ans, notamment passé par le cabinet d’Emmanuel Macron à l’Elysée, où il a pensé feu la hausse de la taxe carbone à l’origine du mouvement des Gilets jaunes, a pourtant payé pour voir combien la communication compte en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Lui, dont le rôle est d’avoir “la vision à 360” et d’injecter du “temps long” dans les agendas des ministres, l’admet : la question de la “lisibilité” se pose et l’exécutif n’est “pas au bout de la façon de la traiter.” Il revendique tout de même des progrès au cours des derniers mois. Pour “embarquer”, selon lui, il faut trouver le bon ton. Il ne doit être ni trop simplificateur — le risque serait d’être vu comme “surplombant” ou accusé de faire du “greenwashing” — ni trop détaillé — trop “boulon de 16” ou pas assez “big picture”, dans ses mots.

Des réunions régulières avec les ministres concernés permettent d’ajuster les décisions… et la manière de les présenter. “On fait en sorte qu’il y ait des discussions politiques sur tous les sujets,” souligne Pellion, lui que l’on présente souvent comme un techno.

Chacun sa part… 

L’économiste Jean Pisani-Ferry, lui, a en tout cas marqué les esprits fin mai en proposant dans un rapport de financer la transition écologique notamment par un prélèvement unique et temporaire sur les 10% les plus riches. 

Objectif : lutter contre un sentiment d’inéquité entre les Français face aux défis de la transition. Une mesure aussitôt rejetée par Emmanuel Macron, comme nous l’a confirmé l’économiste lui-même, mais que l’aile gauche du camp présidentiel n’a pas totalement renoncé à mettre sur le tapis à la rentrée. 

Interrogé sur le sujet, Pellion juge certes l’enjeu de l’équité “indispensable,” mais s’aligne sur la position présidentielle, voyant dans les mesures symboliques “un écueil plutôt qu’une voie de passage.”

Ses services mettent en avant des mesures de “justice fiscale” qu’il juge plus efficaces. “Bruno Le Maire a dit qu’on allait augmenter le malus sur les grosses voitures et la taxe sur les véhicules de société. Dit autrement, on va aller taper sur les entreprises et les riches qui ont des grosses voitures pour payer la décarbonation des Français, le leasing de voiture électrique à 100 euros ou le bonus.”

Pour souligner qu’ils se préoccupent aussi de la question des perdants d’un monde décarboné, Borne comme Pellion assurent que “les efforts sont répartis” et que chacun fera à la mesure de ses capacités. Les automobilistes se tourneront vers le covoiturage, quand les gros industriels devront complètement décarboner leurs productions. 

L’heure des comptes

Dans son rapport, Pisani-Ferry a estimé les besoins à 66 milliards d’euros par an, dont 34 milliards d’investissements publics. L’exécutif s’est-il aligné sur ses recommandations ? Oui, à peu près, à en croire Pellion, qui explique qu’en additionnant les investissements des collectivités, qui n’ont pas encore été évaluées, à ceux de l’Etat, on atteindra “le montant et les ordres de grandeur de Pisani-Ferry.”

A quoi il faut ajouter que ces investissements publics doivent déclencher encore plus d’investissements côté privé. 

Les annonces d’Elisabeth Borne ne concernent que l’année 2024. Pour les années suivantes, là encore, rendez-vous est donné à la rentrée pour sanctuariser les financements. Selon Pellion, le principal est fait : “L’important, c’est comment est-ce qu’on rend la première marche de 2024 crédible avec les ambitions qu’on met sur la table.”

‘Il y a un plan’

L’ambition du gouvernement, justement, est connue : réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre en 2030 et atteindre la neutralité complète pour 2050, comme l’a décidé l’Union européenne. Un objectif qui n’intimide pas l’ingénieur-fonctionnaire, bien au contraire. “La bonne nouvelle c’est qu’il y a un plan, se félicite-t-il. La mise en œuvre n’est pas simple, mais si on y arrive, on résout le problème.” Comprenez : on atteint l’objectif de baisse des émissions.

Certains reprochent toutefois à l’exécutif sa vision minimaliste des enjeux. Greenpeace estime par exemple qu’il “faudrait baisser de 62,2% [les émissions] pour être sur une trajectoire compatible avec un réchauffement climatique limité à +1,5 °C”.

Concrètement, la première étape en 2030 équivaut à faire disparaître en une poignée d’années 138 mégatonnes de CO2.

Pour y arriver, le secrétariat général à la planification écologique a retenu une cinquantaine d’actions, soit parce qu’elles sont peu chères à mettre en place, soit parce qu’elles sont très efficaces en réduisant massivement les émissions, soit parce que la réserve de carbone à faire disparaître est importante. 

Par exemple, le covoiturage “est l’action la plus efficace en matière d’euros à la tonne de CO2 évitée”. Mais cela ne représente que 3 mégatonnes. “Ça ne suffit pas, c’est pour ça qu’on va aller taper dans toutes les poches, et que notre plan a 52 actions.”

Toutes ces actions ne doivent être qu’en partie mises en œuvre afin de cocher l’objectif 2030. Pour la voiture électrique, il faut “arriver à faire changer 15% des gens”, pour le chauffage, c’est 20%. “On n’a pas besoin de changer le quotidien de tous les Français”, se rassure le secrétaire général.

Questions d’incarnation

Surtout qu’il faudra en chemin affronter les peurs et les sujets polémiques. Récemment, c’est une possible interdiction des chaudières à gaz, évoquée par Elisabeth Borne, qui a inquiété des ménages et les entreprises gazières. Pour l’instant, aucune décision n’est prise et une consultation est en cours.

En Allemagne, l’annonce d’une telle interdiction a entraîné des achats de chaudières et suscité la polémique, sur laquelle a surfé l’extrême droite. “Le retour d’expérience sur ce qu’on voit en Allemagne nous dit qu’on doit plus fortement accompagner et moins fortement faire du réglementaire.” 

“Je suis opposé à l’interdiction des chaudières à gaz,” a déclaré Bruno Le Maire, d’une manière moins technocratique, disant préférer les incitations financières.

Sur ce sujet comme d’autres, chaque ministre a sa part dans la transition climatique et tout le monde donne son avis. “Il y a des expressions diverses qui s’expriment, c’est la vie. Je préfère ça plutôt qu’une bande passante restreinte et qu’on soit séquentiel dans les projets qu’on traite.”

Et le fait qu’il n’y ait pas qu’une seule figure, bien identifiée, sur le sujet, n’est pas un problème pour lui. “C’est pas le gouvernement qui va être émetteur du B2C [business to consumer] et convaincre tout le monde”, plaide-t-il, poussant pour un “réseau de gens convaincus” qui deviendra un relais utile. 

Alors que les rumeurs de remaniement persistent, lui se dit bien à sa place quand on l’interroge sur le sujet. Il sourit : “Je suis très bien là où je suis. Je veux être efficace, et pour l’instant ça marche super bien.”

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